Vu d’ici, je doute que vous vous en soyez aperçu, mais sachez que Blut Aus Nord, au même titre que Sunn O))) par exemple, suscite de sacrées controverses depuis quelques années dans les sphères ultra cloisonnées du metal extrême, en raison notamment d’un discours provocateur à la philosophie ostensiblement pédante et broussailleuse. Croyez-moi, l’intelligentsia du milieu se divise très nettement entre ceux qui crient au génie et ceux qui crient « branlette ». De cryogénie, il en sera d’ailleurs question (j’ai un peu honte de celle-ci, je le confesse), pour peu que vous vous aventuriez dans les territoires sauvages que défrichent tant bien que mal nos extrémistes.
A grand renfort de dissonance, de silence lourds de sous-entendus, de grincements et bruitages post-industriels en tout genre, de voix dénaturées à l’extrême, BAN crée un paysage de désolation au relief fluctuant. On pense à Godflesh et aux Swans, à Emperor, à Sunn O))) (tiens donc ?) pour ce qui est des références métalliques, mais aussi aux pionniers les plus sinistres de l’indus, Throbbing Gristle, Laibach, Einstürz ou plus tardifs Skinny Puppy, ainsi que différentes bizarreries électroniques, particulièrement l’album Ghost de Third Eye Foundation. Toutes ces références ne donnent pas lieu à un amalgame douteux comme c’est souvent le cas, mais bien à un univers pour ainsi dire vierge, à des perspectives sonores inouïes.
Rarement on aura passé heure plus inconfortable que sur ce disque à l’écoute duquel on est contraint de naviguer à vue. Le sentiment que rien ne se passe risque de prime abord d’engendrer une certaine lassitude, mais quelques écoutes rendront évident que c’est au niveau subliminal que se passent les choses, à savoir sentiment de malaise indescriptible, incapacité à catégoriser la musique qui nous parvient et de manière générale, incompréhension complète des tenants et aboutissants de la chose.
Après un EP vaguement mitigé car peu abouti, Blut Aus Nord nous offre une œuvre inexhaustible et définitive qui n’a pas fini de faire parler d’elle. Transcendant les genres, les Français délivrent un album radicalement tortueux sans se laisser aller au moindre débordement de décibels. Seulement une très grande maîtrise du son et une étrangeté terrifiante, qui risquent bien de laisser sur le carreau tant les anciens amateurs du groupe que les curieux dont vous ferez sans doute partie. Insoutenable mais essentiel.
- lina b. doll, le 1 12 2006