Parlant de l’ironie de son métier de producteur, Steve Albini disait qu’à forcer d’écouter des albums des centaines de fois, même les chef d’oeuvres devenaient lassants. Une des rares exceptions qu’il citait était le premier album de Nina Nastasia, Dogs, sorti en 1999, disque mythique que John Peel a également aidé à faire connaître sur les ondes. Depuis, trois albums ont suivi, et le talent de l’Américaine ne s’est jamais démenti, même si le succès n’a pas vraiment suivi.
Nina Nastasia a le sens de la mesure, l’équilibre des chansons est remarquable - une guitare acoustique servant d’ossature aux chansons, quelques notes de piano, de violoncelle ou de violon, et le tableau est esquissé en quelques coups de pinceau. L’auditeur ressent la profondeur du son, chaque note respire et remplit l’espace. La batterie de Jim White, tout en subtilité, fait trembler les enceintes juste ce qu’il faut, ou se fait plus menaçante si besoin est. Les cordes grinçantes de "Jim’s Room" évoquent les limbes du souvenir revenu à la surface. Surgies de nulle part, les quelques lignes de piano de "Bird of Cuzco" et "Lee" terrassent l’auditeur par leur beauté triste, par leur à-propos. Les instrumentations classiques de ce dernier vont jusqu’à évoquer un groupe comme Rachel’s.
Sous-jacente, il y a toujours une noirceur extrême, une inquiétude sourde pas toujours identifiable - la voix de Nina Nastasia peut glacer l’auditeur comme l’émouvoir. On Leaving fait la part belle aux souvenirs d’enfance, aux pertes et aux désillusions qui vont avec le temps qui passe. Ces thèmes sont la raison d’être de l’album, autant dire qu’il est empreint d’une grande tristesse. Mais le propos reste toujours sobre, Nina Nastasia préférant attaquer les sujets graves de biais, en partant de souvenirs, d’objets ou de bruits symboliques, comme sur "Treehouse Song" - (« And I never came down from the roof / I awoke and you had flown / Just an impression of you next to me / And the terrible sound of the clapping of leaves »).
On peut regretter la brièveté de On Leaving, mais en à peine plus de 30 minutes, Nina Nastasia réussit à brosser 12 tableaux variés sur un même thème, démontrant une belle maîtrise tant musicalement qu’au niveau de l’écriture. L’air de rien, On Leaving est tout simplement impressionnant dans son genre.
- JP, le 20 10 2006