Album final, testament qui épilogue une carrière intensément vécue, «Blottie» aurait dû consacrer les Hurleurs comme un groupe incontournable en France.
Seulement voilà, «Blottie» n’est pas franchement accessible et il peut indisposer par sa noirceur. Rarement une formation hexagonale sera parvenue à concentrer avec un tel brio les esprits conjugués de Tom Waits et de Nick Cave dans un écrin musical pourtant étrangement lumineux.
Le résultat évoque une apocalypse contenue en 11 titres, hydromel divinement tragique nous consumant la raison, nous brûlant les sens. Chaque texte met en scène un théâtre ; à la manière d’un Jacques Brel nocturne, Jean-Charles Versari expose les aléas de rencontres fugaces et de l’urgence des passions («L’épreuve du feu»). Déclamant ses vers en français ou en espagnol avec un je-ne-sais-quoi de précieux, on l’imagine sans peine comme le personnage d’une nouvelle gothique de Bram Stoker.
Musicalement, l’œuvre est magistralement maîtrisée par Ian Caple (producteur des Tindersticks et de Bashung époque "Fantaisie Militaire") ; les cuivres crépusculaires épaulent les guitares d’Adrian Utley (membre de Portishead), amenant une chaleur désespérée à cette fuite en avant. Une rythmique en syncope assure que l’adrénaline monte sans relâche («La séparation»), ces cascades nous emportant toujours plus près du néant où enfin tout s’arrête. Un piano feutré (l’envoûtant «Les oiseaux de nuit»), une clarinette ou un banjo («Derrière la buée») retouchent avec grâce l’éclat de ce fragile papillon de nuit.
Aujourd’hui, «Blottie» reste un peu à part dans le paysage musical francophone. De fait, l’implosion du groupe semblait inéluctable après un tel tour de force, cela même si les propos de Versari envisageaient toujours les difficultés à venir. «Si demain est un doute, c’est un chemin qu’on connaît assez» : le chemin continuera effectivement, mais sans Les Hurleurs.
- runeii, le 4 12 2005