Desertshore est l’un de ces disques plus proche du classique expérimental que du rock de la fin des années 60, grâce notamment à la qualité des arrangements de John Cale. Comme sur le premier album de Nico, The Marble Index, Desertshore est un voyage loin du connu, dans un monde d’hymnes et de liturgies maléfiques qui ont tendance à polariser leurs auditeurs en deux camps bien distincts.
D’entrée, un harmonium aux notes graves évoquant la damnation éternelle nous plonge dans la nuit : la voix monocorde aux accents teutoniques de la Reine de Glace déclame alors une sorte d’incantation (« Janitor of Lunacy / Paralyze my Infancy / Petrify the Empty Cradle / Bring Hope to Them and Me »). Le ton est donné, et chaque morceau de la face A de ce disque apportera sa touche d’étrangeté : le clair-obscur de "The Falconer", rencontre entre la noirceur de l’harmonium de Nico et une fine pluie de notes de piano ; l’harmonie de "My Only Child", chanson acapella légère comme l'air évoquant un choeur d'église ; le chant indiciblement maléfique de "Le Petit Chevalier", un texte en Français archaïque récité par le fils de Nico, sur une mélodie au clavecin.
Si cette première partie, malgré sa solennité et sa noirceur, reste totalement prenante et nous emmène loin du connu, certains morceaux de la face B comportent certaines lourdeurs. "Abschied" et "Mutterlein" sont en peu difficiles à digérer, et si les arrangements classiques minimalistes de John Cale restent de grande qualité, le chant en allemand de Nico fait un peu dans la surenchère : au lieu d’être pris aux entrailles comme précédemment, on a plutôt tendance à décrocher. "All That is My Own" est le seul morceau comportant un semblant de rythme, avec la basse de John Cale, celui qui s’approche de très loin d’une structure rock, même si on retrouve l’harmonium et le violon aux commandes pour un résultat très convaincant, grâce également au travail sur la voix de Nico.
Même si l’on peut lui reprocher sa brièveté (moins de 30 minutes, ce qui le rend aussi plus digeste...), Desertshore est presque aussi aventureux que The Marble Index. Plus sombre que ce dernier, il n’atteint encore pas la noirceur absolue de The End, sorti quatre ans plus tard, qui constituera le dernier pas en direction du précipice.
- JP, le 4 01 2007