Il y a peu de disques qu’on attend aussi impatiemment que ceux de DJ Shadow : en moyenne, il faut compter 5 ans de patience entre chaque sortie, mais on n’a jamais été déçus jusqu’ici. Mais essayons un instant de mettre toutes nos attentes de côtés, pour aborder ce disque sans le comparer à ses illustres prédécesseurs.
Après une petite introduction dont le titre de l’album est issu, "This Time" est un morceau funk genre seventies, avec un très beau sample vocal trouvé on ne sait où, avec moultes guitares et une batterie. Connaissant l’amour immodéré que DJ Shadow porte à ce genre de musique, on se dit que ce titre n’aurait choqué personne sur Brainfreeze ou Product Placement.
Ensuite, ça se gâte vraiment. "3 Freaks" était disponible bien avant la sortie du disque (une sorte de single), et c’est le début de l’enchaînement des invités. Les MC’s Keak Da Sneak and Turf Talk, des MC’s au flow inexistant et indistinct partagent l’affiche, pour une bouille bordélique qui se répète à l’infini sur des rythmes digitaux basiques. Quatre minutes peuvent être vraiment longues, et je défie la majorité des auditeurs (même fans de hip hop) de ne pas presser "next" avant la fin. Mais le morceau suivant, "Turf Dancing", avec d’autres MC’s interchangeables, The Federation and Animaniaks, reprend à peu près la même formule de hip hop (ce qu’on appelle le hyphy) aux rythmes très cheap, toujours aussi irritants, avec quelques notes de synthé sensées faire dark - au final un morceau tout aussi pauvre, sans âme, sans fun. La bouille de rythmes disparaît sur les deux morceaux suivants, mais pas la pseudo ghetto attitude qui ne convainc pas une seconde. Musicalement, ça reste très peu inventif, sorte de sous-Dr. Dre période 2001.
Les invités se barrent momentanément pour "Broken Levee Blues", peut-être le meilleur moment de ce disque, morceau instrumental à la guitare électrique, qui exprime plus d’émotion que tout ce qui a précédé en deux misérables minutes, c’est dire. Phonte Coleman partage l’affiche pour "Backstage Girl", seul MC de The Outsider au flow digne de ce nom. Ce mélange entre blues/prog rock et hip hop est particulièrement fin, les lignes de guitare électrique et de batterie aux sonorités aiguës sont autant de trouvailles de DJ Shadow. Les voix et chants en arrière-plan, un saxophone et un harmonica ajoutent encore de l’intensité à ce morceau qui clôt le chapitre hip hop de The Outsider, qui s’aventure ensuite dans d’autres territoires plus proches du rock.
"Triplicate" fait la transition, morceau atmosphérique avec un piano et des samples d’instruments à cordes dignes d’une musique de film. "The Tiger" continue dans cette veine, avec des tams tams et une grosse ligne de basse, dans un esprit plus rock. Le morceau serait bien sans un autre invité plutôt pénible, Sergio Pizzorno, clone raté de Thom Yorke. Même constat pour Chris James sur "Erase You" qui hésite entre Chris Martin (Coldplay) et Thom Yorke, sans succès. Le morceau a un rythme sympa mais ne casse pas des barreaux de chaise. On passe au spoken word avec Cristina Carter sur l’atmosphérique et réflectif "What have I done". Les samples de guitare réverbérés à connotation latine sont très évocateurs, enveloppant peu à peu l’auditeur à l’aide de nappes de synthé. On se serait bien passés du retour de Chris James sur "You Made it" - morceau qu’on croirait sorti du dernier Coldplay...ce qui est plutôt grave sur l’album d’un visionnaire comme DJ Shadow.
Difficile d’appréhender ce disque dans son ensemble tellement il est fragmenté et bordélique. La majeure partie de l’album est difficile à avaler, surtout la période hip hop et rock genre Coldplay. Quelques morceaux relèvent le niveau, mais ils sont bien trop rares pour faire de The Outsider un bon album dans l’absolu, même sans le comparer à Endtroducing ou The Private Press.
Au final, on a presque envie de trouver des excuses pour DJ Shadow, tellement un ratage aussi intégral est incompréhensible venant d’un artiste de sa trempe. C’est peut-être le milieu de la Bay Area (le mouvement Hyphy) dans lequel il baigne qui a influencé ce disque plus que de raison, peut-être qu’il a choppé la grosse tête, peut-être qu’il voulait promouvoir ses potes. Mais il faut se rendre à l’évidence, un très mauvais choix au niveau des invités, une production très peu inspirée dans l’ensemble et un manque flagrant d’unité condamnent The Outsider à décevoir amèrement même (et surtout) les fans les plus irréductibles.
- JP, le 18 09 2006