Définitivement parfait. Rarement on oserait poser tel jugement sur une œuvre quelle qu’elle soit. L’ultime testament de ce groupe culte, malheureusement réduit souvent à ses débuts pop synthétique, reste bien au-delà des frontières de notre univers musical connu. Cela se passait en 1991 déjà , bien avant tout estampillage «Post-Rock», «Laughing Stock» passant telle une comète à côté de son public (tout comme son prédécesseur Spirit of Eden).
Public et musiciens rendent aujourd’hui justice au groupe de Mark Hollis : Bark Psychosis, Shearwater ou Bed n’en finissent pas de puiser à cette divine source.
Six titres, entre 6 et 10 minutes pièce, six rencontres improbables entre pop, freejazz, classique… et silence. Omniprésent, véritable oxygène entre les notes, ce calme suscite à l’ouverture et à la fermeture de l’album une dimension quasi spirituelle («Myrrhman» ; «Runeii»). Mark Hollis, ensuite, use de sa voix comme d’un archet sur nos émotions : toujours terriblement humain et en état de grâce.
«Laughing Stock», c’est aussi un choix d’instruments inédit dans le paysage rock et une manière non-conventionnelle d’en jouer : guitare qui se limite au tranchant d’un seul accord, union d’orgues vrombissantes, rythmique impossible («Ascencion Day»), stoppée à son apogée par une plongée rafraîchissante («After the Flood»). Clarinette ou harmonium sont mixés si finement qu’il est presque impossible de déceler qui joue de quoi ; on nage dans un ambient d’un autre ordre, doté d’une vie propre, entièrement acoustique et organique. Symbole de cette liberté de jouer, l’épuré «Taphead» pourrait s’apparenter à une lente méditation en boucles d’électro, à ceci près que seuls les cuivres et l’harmonica en créent les étonnantes sonorités.
Le groupe splittera après l’échec commercial de l’album, Mark Hollis poursuivra sa carrière en solo (un seul album à son actif depuis), Paul Webb et Lee Harris formeront O’Rang pour deux poursuites plus tribales de l’esprit de Talk Talk, le premier collaborant ensuite avec Beth Gibbons. Restent les cendres encore rouges de ce tour de force qu’est «Laughing Stock», chef d’oeuvre des années 90 et classique à posteriori.
- runeii, le 3 09 2006