Atmosphere est définitivement à part dans le monde du hip hop. A la base un trio, le groupe deviendra un duo avec le départ de Spawn après Overcast!. Slug le rappeur (aka Sean Daley l’un des fondateurs du très respecté label Rhymesayers), est associé à Ant le producteur, depuis cet album et pour tous les suivants, pour le meilleur et pour le pire - le duo a connu des hauts rarement atteints, ainsi que de retentissants échecs. Lucy Ford : The Atmosphere EP’s est sans doute le meilleur disque d’Atmosphere, le plus consistant, réunissant 16 titres sur la base de deux EP's.
Slug est un MC qui va au bout de ses excès, capable comme personne de livrer ses démons personnels au micro, mais qui ne manque pas d’humour et assume complètement son style jusqu’au-boutiste. Comme 90% des auditeurs de ce disque, vous passerez la cinquième chanson, "Don’t ever fucking question that", LE pire morceau de l’histoire du duo, déclaration d’amour d’un mauvais goût larmoyant. C’est le seul vrai faux pas de cet album qui est tout de suite oublié, tellement ce LP forme un tout qui restera dans l’histoire du hip hop avec de nombreux classiques.
On se demande comment une telle daube peut côtoyer "If I was Santa Claus", percutant au niveau du flow, des paroles, contrebalancé par une musique aux intonations mystiques. Réflexions digne d’un schizophrène mais terriblement lucides, où le réel côtoie l’imaginaire, le sérieux se heurte à l’humour dans un style proche du slam. Même sans prêter attention aux paroles, l’impact de ce titre reste très grand.
A ce niveau de forme, Slug possède un charisme et un magnétisme uniques dans le monde du hip hop. La qualité de la production n’est pas en reste tout au long de l’album. La variation est le point fort de Ant, qui ne répète pas deux fois les mêmes arrangements, passant de rythmiques dub et reggae ("Free or Dead"), bluesy ("Guns and Cigarettes"), à d’autres aux consonances jazz et funk, en maintenant un niveau de qualité qui évoque des grands noms actuels comme Blockhead ou Alias.
La variation des thèmes et des humeurs est également au rendez-vous. Si Bob Dylan avait été MC, il aurait pu écrire "The Woman with Tatooed Hands". Graciée d’un sample funk sublime, rarement ode à la tolérance envers les femmes n’aura été aussi sensible et drôle, dite dans la plus pure tradition du storytelling. D’autres morceaux ont un style plus décontracté, comme "Nothing but sunshine", qui glisse tellement facilement sur une ligne de piano des plus délicieuses. Le côté obscur de la force est également amplement représenté, comme "Aspiring Sociopath" qui décrit la ligne très floue entre normalité et folie, sur un sample sorti tout droit d’un vieux film de David Lynch.
Inutile de continuer l’énumération, c’est juste une tuerie après l’autre, impossible de reprendre son souffle. Lucy Ford est un disque qui fait travailler l’imagination et couvre un terrain très vaste, musicalement et émotionnellement. Indispensable.
- JP, le 29 07 2006