L’aventurier Jesse Poe se cache sous la bannière mystérieuse de Tanakh ; auteur, compositeur, interprète, mais surtout leader capable de visions et de changements de caps surprenants, à l’instar d’un Ben Chasny (Six Organs of Admittance) ou de ses voisins de label Molasses. On l’a rencontré défricheur d’espaces vierges en 2002 sur Villa Claustrophobia, mélangeant folk païen et drones de «field recordings». De même avec Dieu Deuil deux ans plus tard, magnifique recueil de folk mystique aux teintes crépusculaires.
Ardent Fevers est une nouvelle conquête : les eaux troubles des seventies que choisit Jesse Poe pour amarrer son équipage mettent à jour de fort belles trouvailles. Dès les premières notes, «Drink to Sher» et ses cordes (merci à Isobel Campbell) donnent une furieuse envie de voguer sans attaches, en un condensé d’histoire où folk, rock et blues scintillent et se mélangent. Nostalgie, chaleur et électricité se déclinent de 11 manières, à la façon touche-à-tout d’un Neil Young. A témoin ce «Deeper», pure merveille de groove, où ressuscitent un vieil orgue hammond et une sarabande de cuivres jazzy enthousiastes.
Malgré ces belles promesses, la suite nous convainc moins, manquant souvent de consistance, ce qui est d’ailleurs représentatif des albums de Monsieur Poe. Les longs solos à la Crazy Horse agacent (malgré le plaisir évident qu’en retirent leurs auteurs), plusieurs titres perdent peu à peu le Nord et naviguent à vue (« Take and Read »). Dommage, car ces ébauches d’idées pourraient, avec un peu de rigueur, faire de cet Ardent Fevers un butin inestimable. N’est donc pas le loner qui veut : parfois on a beau frotter et astiquer, le plomb ne se change pas en or.
- runeii, le 11 05 2006