Après une très longue absence, Coldcut revient au pays, les graines que le duo a semé ont poussé très haut, et leur descendence, enfantée par leur label Ninja Tune, est nombreuse et variée. Le monde a changé, Coldcut aussi.
En 2006, Sound Mirrors est plus grave, marqué par le doute, il s’inscrit parfaitement dans le zeitgeist actuel, même si, comme à chaque fois, Jon More et Matt Black n’arrivent pas là où on les attendait. C’est le disque le plus varié du groupe, avec le plus grand nombre d’invités, et sans doute le plus accessible de la carrière de Coldcut. Baignant dans l’electro/club des débuts du duo, il laisse aussi la place à d’autres styles musicaux comme le hip hop ou le rock.
La pression du monde moderne transpire de certains morceaux ; la désillusion de "Mr Nichols", au douzième étage, contemplant le vide, au bout du rouleau - Saul Williams, artiste du spoken word, raconte sobrement la détresse ordinaire ("Where’s the glory you dreamed up as a child ? Your dreams of dominance will only help you to forsake yourself"). Des nappes d’une musique planante, la sobriété de Williams ne font que renforcer la justesse de chaque mot. La voix de John Matthias sur "Man in a Garage", avec sa guitare bluesy, traduit le même malaise indéfinissable mais bien réel.
L’engagement politique est également clair : Dick Cheney, Lockheed Martin et la mafia téxane, tous passent à la moulinette sur "Everything is under control", electro-rap très rock’n’roll avec Mike Ladd et Jon Spencer. Un esprit beaucoup plus léger est aussi de la partie - "Just for the kick" (avec la légendaire Annette Peacock) est une réussite, morceau entre techno et trance, minimaliste, très inventif.
En s’entourant d’autant de guest stars, Coldcut est un peu tributaire de leurs prestations, et tous ne s’en sortent pas aussi bien. M’pho Skeef fait dans la dance commerciale avec "This Island Earth", le côté soul/RNB de "Walk a Mile in my Shoes", avec Robert Owens, est un peu trop consensuel et préformatté à mon goût. Reste qu’il est difficile d’unifier un tel disque, et Coldcut a fait beaucoup mieux que d’autres groupes face au même challenge. La production et la qualité d’ensemble sont très soignées. Il manque peut-être un petit grain de folie et d’extravagance pour vraiment mettre le feu aux poudres.
- JP, le 4 02 2006