Bedhead, groupe défunt aujourd’hui (The New Year lui succédera), synonyme du genre musical appelé "Slowcore", mérite très peu cette appélation plutôt péjorative sur leur premier album sorti en 1994, marquant un tournant après l’explosion du grunge de Nirvana et consorts. Si les morceaux commencent en général assez tranquillement, ils explosent ensuite avec beaucoup d’intensité, grace à l’attaque duelle des guitares saturées des frères Kadane.
Cet album a un son lo-fi ("basse fidélité") vraiment délicieux, plein d’aspérités, les guitares sont aussi abrasives que du papier de verre, et la batterie de Trini Martinez est plutôt aigüe, avec une overdose de cymbales qui donne un côté enfumé à ce rock brut et électrique. La voix de Matt Kadane est enfoncée profondément dans ce magma brûlant, excepté lors des moments plus doux. Ce rock-là est en fait ludique et explosif, se terminant parfois en une sorte de jam session, sur un disque que pour ma part je trouve bien équilibré entre morceaux lents et rapides. La douceur de la voix de Kadane est le parfait contrepoids à l’ensemble, même s’il est quasiment impossible de distinguer ce qu’il chante (le booklet n’étant d’aucun secours niveau paroles...).
On commence avec "Liferaft" et sa mélodie imparable qui évolue petit à petit vers un rock puissant, puis le débridé "Haywire", avec sa batterie très dynamique, qui se termine dans un déluge de guitares à la Sonic Youth. "Bedside table" calme un peu le jeu avant la montée finale, ponctuée par quelques accords de guitare bien tranchants et cette batterie très technique. Bedhead a un talent certain pour les mélodies simples et mémorables, pour les dialogues entre guitare rythmique et solo, à témoin l’irrésistible "To The Ground" ou encore la très belle ligne de guitare de "Foaming Love". Quant à l’hypnotique "Powder", c'est une belle montée en puissance, avec sa mélodie cyclique sur laquelle le groupe peut improviser et broder.
Ce disque est pétri d’une nostalgie qu’on ressent en se remémorant les bons moments, la voix un peu plaintive de Matt Kadane contraste avec l’allant et la fraîcheur de la musique. Bon nombre d’artistes se sont inspirés de Bedhead, même si What Fun Life Was conserve un je-ne-sais-quoi d’unique, peut-être la combinaison entre le son de l’album, l’humeur qui s’en dégage et la limpidité avec laquelle cette musique coule de nos enceintes. Il y a peu de disques auxquels je sois autant accro, à peine arrivé au bout, j’ai envie de recommencer, même après de nombreuses écoutes. Loin d’être un disque de slowcore long et chiant, ce disque est un réel plaisir, fait de montées en intensité exécutées avec une facilité déconcertante.
- JP, le 21 11 2005