Le groupe helvétique n’est plus depuis 1995. Il nous laisse pourtant un héritage musical précieux et résistant à l’épreuve du temps. Rendons donc justice à un groupe que l’on peut aujourd’hui qualifier de « cultissime ».
Retour d’abord en arrière : nous sommes en 1987, un trio zurichois (Ron Royce, Tommy T. Baron et Marquis Marky) sort «R.I.P.», disque de trash-metal technique et surprenant dans le contexte musical de l’époque (le métal se conjugue alors en référence aux gros calibres que sont Metallica, Slayer ou Megadeth). Le côté innovateur du groupe est encore noyé dans une production de seconde zone, mais les germes sont déjà là : la presse parle de «techno-trash», étiquette fourre-tout où se retrouvent la plupart des groupes qui tentent de repousser le genre au-delà de ses limites.
Coroner va cultiver ce penchant pour la marge et la surprise en s’engageant toujours plus en avant vers de nouveaux rivages ; par conséquent, le groupe ne rencontrera jamais un réel succès commercial. Les paroles du groupe, par exemple, sont beaucoup plus proches de la psychologie que ce qu’on entend généralement dans le milieu metal : il est question d’angoisses, d’atmosphères tantôt malsaines, tantôt planantes ou encore de l’expérience de la mort. Nous sommes loin des lyrics de type «je suis très méchant» de nombreux groupes du genre. Musicalement, chaque album illustre une progression en termes de maîtrise technique et de production. Le sommet sera atteint avec «Grin» en 1993, point d’orgue en termes d’innovation, de force et de musicalité.
Sur cet album, la noirceur que l’on retrouvait sur les premiers opus est plus tamisée et moins directement perceptible. Le groupe varie les ambiances, alterne les décors, ce qui permet à chaque composition d’atteindre comme jamais auparavant une réelle profondeur émotionnelle. Quelques percussions tribales inquiétantes ouvrent les 60 minutes de l’album («Dream Path»), et amènent à une secousse électrique massive sous la forme d’un riff simple, puissant et dense («The Lethargic Age»), sorte d’hymne qui soutient les déclamations sourdes du chanteur, dépeignant les travers de notre monde moderne. La colère contre soi-même («Internal Conflicts») n’a jamais été aussi justement exprimée : une montée de violence irrépressible menant à une perte de contrôle de soi. Sans doute la composition la plus teigneuse jamais écrite par le groupe. Coroner évoque aussi la nostalgie, le regret («Caveat»), en introduisant des plages acoustiques ici et là , quelques nappes discrètes de synthé (en arrière fond) et des échos qui réverbèrent les notes de guitares. La mort et les ambiances malsaines restent bien présentes («Host» et ses mouches), la folie parfaitement évoquée («nails in my brain, nails hurt» sur «Grin»). On reste étonné de voir comment une base résolument metal et extrême peut permettre l’expression de tant d’émotions différentes.
Au niveau de la technique, nous avons affaire à trois professionnels de haut niveau. Ainsi, s’il faut entendre un seul solo de guitare dans sa vie, c’est bien celui de «Serpent Moves» : techniquement irréprochable, alliant grâce, vitesse et puissance. Tommy T. Baron reste l’un des guitaristes les plus doués de sa génération. Il mélange les sonorités (metal, rock, orientales, jazz), change de gammes, de rythmes avec une fluidité déconcertante. On est loin des performances stériles et purement techniques du «guitar hero» des 80’s. Au niveau de la section rythmique, la batterie de Marquis Marky allie une précision toute helvétique avec des effets de surprise (changements et cassures de rythmes).
Au final, Coroner nous livre un album à la fois viscéral et cérébral, à mille lieues des carcans du genre. Incompris à sa sortie, l’album reste pourtant une pièce importante sur l’échiquier du metal des 90’s. Le groupe n'y survivra pas et implosera deux ans plus tard des suites d’une mésentente profonde avec son label (Noise).
- runeii, le 10 07 2005