Artiste talentueuse et aventureuse, Sally Doherty (ex Sol Invictus, Sieben) n’a pas l’habitude de s’endormir sur ses lauriers. Album après album, elle explore de nouveaux horizons, créant ses propres univers entre folk et jazz, accompagnée d’un trio à cordes ou réinterprétant des standards du folk celtique et mexicain, se permettant même à l’occasion de collaborer avec le groupe italien Planet Funk. Cette compilation des meilleurs morceaux de 5 de ses albums souligne cet éclectisme, et pourtant le résultat est loin d'être dépareillé. La voix de Sally Doherty sert de fil rouge aux compositions, ainsi que la qualité et la variété des arrangements instrumentaux des Sumacs (groupe accompagnant la chanteuse), vraiment dépaysants dans ce monde dominé par les seules guitares.
"Mourning I" et "One Voice I", issus de l’album Empire of Death, nous emportent avec des harmonies vocales aux intonations orientales évoquant mystère, terres lointaines et ténèbres. Une section à cordes discrète menée par un violoncelle colle parfaitement à l’atmosphère. J’ai appris plus tard que cet album avait été enregistré pour un documentaire de la BBC, concernant des fouilles archéologiques au Soudan ayant mis à jour les vestiges d’une civilisation étrange, des tombes gigantesques où la famille royale au grand complet était enterrée vivante. Ces chansons m’avaient déjà fait parcourir la moitié du voyage, sans qu’aucun mot ne soit prononcé - telle est la force évocatrice de cette musique.
D’autres morceaux issus de Black is The Colour réinterprètent les grandes chansons folk traditionnelles d’Europe et du Mexique, petites pièces intimistes accompagnées de flûte, piano ou clarinette. Sally Doherty parvient à sauter d’un continent à l’autre avec aisance, imprégnée de ces chansons au point d’en retransmettre toute l’authenticité, à sa façon - que ce soit une chanson de marins ("Low Lowlands of Holland"), ou chantant en espagnol, accompagnée d’une guitare aux accents flamenco sur "La Llorona", évocation d’un personnage mythique remontant jusqu’au Aztèques. A aucun moment on a l’impression qu’il s’agit juste d’un exercice de style ou de tourisme, grâce à la force de conviction qui se dégage de ces chansons.
Les arrangements musicaux des Sumacs sont tout en élégance et en légèreté - que ce soient les sections cordes, les flûtes ou le piano. Les textures créées sont très fines, très subtiles, et mettent encore davantage en valeur la voix de Sally Doherty, bien aidées par une production très claire. A écouter dans un endroit confortable aux lumières tamisées, Edge of Spring représente une immersion totale d’un peu plus d’une heure, un voyage passionant à travers les genres et les cultures.
- JP, le 2 11 2006