Objet particulier dans la discographie de Nick Cave & The Bad Seeds, ce Your Funeral .. dégage une atmosphère à la fois théâtrale et intimiste, flirtant sans remords avec le glauque morbide ou le romantisme noir.
S’adressant principalement à nos sens via la patte organique des producteurs Flood et Tony Cohen, s’imprégnant durablement dans les recoins de notre mémoire par certaines de ses mesures, ce quatrième album en clairs-obscurs voit l’Australien développer ses obsessions d’une manière plus fine, de manière à attirer l’auditeur en ses filets plutôt qu’à le secouer. S’éloignant des racines blues de The Firstborn is Dead et du post-punk explosif de From Her to Eternity, Nick Cave s’attelle ici à faire germer les graines douces-amères de son répertoire de crooner ténébreux, tantôt dans une veine de storytelling à la Johnny Cash, tantôt drapé des atours de cabaret chers à Kurt Weill.
Les retours de flamme ne sont bien évidemment pas oubliés, notamment «Jack’s Shadow» et son jeu de cache-cache sans répit ou sur la reprise réussie de Tim Rose («Long-Time Man», que reprendra par la suite Noir Désir). Par contre, moins de brio sur le presque caricatural «Hard on for love» ou lors des hésitations de «She fell away».
De Your Funeral… scintillent plus durablement les balades de croquemitaine aux tempos ralentis, couleur nuit (le titre éponyme ou l’amourette de «Sad Waters»), et les deux tours de force que sont «The Carny» (dont les xylophones infernaux peupleront le chef d’œuvre de Wim Wenders Les Ailes du Désir) et «Stranger Than Kindness» (superbe composition en nappes de guitares, co-écrite par Anita Lane, alors compagne de Nick Cave, et le guitariste Blixa Bargeld).
Gothique et véritablement habité (je dirais même : hanté !), Your Funeral… reste tiraillé entre deux forces de vie et de mort qui se partagent les différentes parts du gâteau. Peut-être pas le chef d’œuvre, mais en tout cas la confirmation d’un talent de conteur.
- runeii, le 6 10 2006