Derrière Six Organs of Admittance se cache Ben Chasny, personnage qui incarne le renouveau actuel du folk américain, du côté de sa face sombre. Peu connu en Europe, le guitariste surdoué est pourtant vénéré par une légion d’admirateurs de l’autre côté de l’Atlantique (Devendra Banhart entre autres). Le groupe demeure un mystère lié non seulement à la force évocatrice des compositions (toujours au croisement entre le ragga-folk, les influences orientales et les expérimentations sonores), mais aussi à la difficulté à se procurer les différents albums et Eps (qui sont souvent sortis en pressage ultra limités et rapidement indisponibles). Heureusement, quelques labels comme Holy Mountain ou Drag City dans le cas présent nous permettent de retrouver l’univers sonore sans concession de Ben Chasny.
« School of the Flower » alterne les plages instrumentales et les chansons au format plus traditionnel. Le jeu de guitare reste l’ossature centrale autour de laquelle les éléments gravitent : orgue saturé et tablas en furie sur « Eighth Cognition/All You’ve Left», avant de s’éclipser pour une ligne de guitare claire et limpide. Surviennent les premiers mots de Ben Chasny : la voix est toujours si particulière, oscillant entre ciel et terre, accrochée aux arpèges. C’est beau et émouvant.
« Saint Cloud » introduit une séquence instrumentale qui reconstruit l’univers chamanique bien connu du guitariste (l’album « Dark Noontide » est à ce titre un voyage à ne pas manquer, pour tout amateur de psychédélisme tribal et d’expériences interdites) ; ici, on retrouve quelques arpèges aux tonalités orientales, une ligne de guitare saturée en arrière plan comme en apesanteur, quelques lointains vocaux en écho qui évoquent un cérémonial mystique oublié. La magie reprend forme et crépite, le feu n’est pas éteint et jette des étincelles au cœur de la nuit.
Pourtant, même si Six Organs of Admittance parvient ici à marier avec succès ces différents éléments, on reste dans un univers plus apaisé, moins torturé et complexe que sur les premiers opus du groupe. La flamme intérieure de Ben Chasny déborde moins, reste plus maîtrisée. Même sur le titre éponyme de l’album (13 minutes d’accords superposés et répétés jusqu’à la transe, ajout de percussions infernales et de distorsion, puis l’apaisement), on reste un peu sceptique à vrai dire devant tant d’efforts pour assez peu de résultats.
Les structures acoustiques sont ici plus directes et simples, parfois même un peu répétitives. La production est aussi plus propre (on a quitté l’univers du 4 pistes saturé) avec pour conséquence une diminution des grattements, craquements des cordes ou le souffle des drones. Il y a là un côté plus conventionnel et accessible, le folk du californien devient plus pastoral et plus mature.
Ainsi, on peut regretter le feu et les ombres que Ben Chasny a choisi ici de mettre quelque peu en retrait ; restent néanmoins quelques belles cendres rougeoyantes qui réchauffent le cœur durant l’hiver.
- runeii, le 16 02 2005