Tremblez... C’est LA réédition de 2008. Car comment ne pas se dire qu’en rééditant ses quatre disques nés sous le pseudonyme de Gas (et depuis longtemps introuvables), Wolfgang Voigt, par ailleurs co-fondateur du label Kompakt ici présent, grave définitivement son nom dans le marbre, au panthéon de la musique électronique ?
Sortis sur le label Mille Plateaux aujourd’hui défunt en 1995 (Gas), 1998 (Zauberberg), 1999 (Königsforst) et 2000 (Pop), ces quatre albums ici réunis visent davantage l’expérience à vivre, bien loin du carcan lounge visant la tapisserie de fond. Car comme a pu le faire en son temps Brian Eno avec ses architectures sonores sans début ni fin (notamment Music For Airports) où les repères habituels abdiquent, l’Allemand imagine un dancefloor mouvant, planté dans l’ombre des forêts ou des montagnes, secoué par une rythmique 4/4 sourde visant à l’hypnose.
En ces fins de nineties, Gas paraît hors du temps, la faute à l’obsession de Voigt à décontextualiser ses sources musicales par des boucles de sampler, sources par ailleurs issues d’univers absolument non-électroniques. Des cuivres, des polka, des opéras de Wagner et l’ensemble du folklore allemand se voient découpés en si fines tranches, répétées, décalées ou superposées, qu’aucun repère fixe n’est possible. Happé dans le flux et reflux des émanations produites, l’état est proche d’un somnambulisme nocturne. Sous acides.
Ainsi, si Gas pose les bases d’une nouvelle forme d’ambient-house onirique, Zauberberg y surajoute une dimension épique, sorte d’opéra d’altitude en plusieurs actes se déroulant au cœur de la nuit, où l’on frôle des dangers palpables une heure durant. Moins sombre, Königsforst développe les idées du sampling en décalage, les compositions évoluant davantage vers d’autres lumières, entre magie et féérie du sous-bois, mais toujours sans qu’on puisse le déceler de manière consciente. Le cinquième titre, usant de cors et trompettes lointaines en échos répétés, redéfinit le concept même de musique symphonique. Enfin, l’aboutissement de Pop, d’une richesse de sons stupéfiante, complète idéalement les trois autres œuvres par l’utilisation de sons plus naturels (cascade, grillons). Variant les thématiques mais gardant toujours une forte cohérence, Pop s’avère en fin de compte une immersion dansante très estivale en pleine nature.
Et aujourd’hui, nous mesurons mieux la descendance naturelle de Voigt, qui reprend cette nouvelle manière de concevoir l’électro en développant certaines de ses idées. De talentueux viennent ensuite du label Kompakt, comme le Suédois de The Field, ou le danois Mikkel Metal, voire les américains Rod Modell et Deepchord, développent tous une électro-ambient ouverte sur l’extérieur sans en renier les aspects plus dansants.
Il manquera juste à cette intégrale les titres inédits sortis sur d’autres compilations. Toutefois, dès août 2008 le label Raster-Noton propose à ceux qui en redemandent une édition photo des magnifiques visuels utilisés pour les albums, accompagné d’un cd d’inédits enregistrés entre 1989 et 1998.
- runeii, le 26 07 2008