Comme beaucoup d’autres, mon entrée dans la discographie de l’australien s’est faite ici, la faute à cette romance tragique et imparable, «Where the Wild Roses Grow», ou comment Kylie Minogue la candide se voit ensorcelée par un esthète obsédé par l’idée que toute beauté se fane un jour.
Qu’on le haïsse ou qu’on l’encense, Murder Ballads va tracer une onde de choc durable, contribuant à la reconnaissance internationale de Nick Cave et de son groupe. Pourtant, l’album est loin d’être le plus accessible, ses storytellings restent rugueuses, épiques et passablement scabreuses, on dégomme à tout vents (64 victimes, soit plus de six macchabées par chanson), l’amour encensé sur Let Love In succombe cette fois-ci dans son duel avec la faucheuse.
Comme déjà sur Henry's Dreamet sur Let Love In, une véritable galerie de personnages hauts en couleurs défile, tantôt victimes (balade d’Henry Lee, co-racontée par la céleste PJ Harvey), tantôt assassins sans scrupules («Song of Joy», ouverture où le narrateur expédie toute sa famille ad patres). Mais c’est surtout «Stagger Lee» qui restera un morceau d’anthologie, Nick Cave y jouant des mots et des attitudes, singeant la brute, flinguant Billy Dilly, le barman et la putain par des diatribes aujourd’hui mythiques ("I'm a bad motherfucker, don't you know, and I'll crawl over fifty good pussies just to get one fat boy's asshole"). Sa version déjantée rejoint un panthéon d’artistes ayant conté cette histoire d’outlaw, plus de 35 à ce jour, dont Neil Diamond, The Clash, Bob Dylan, Fats Domino, jusqu’à Mississipi John Hurt en 1928 !
Musicalement sur la brèche, tendu dans ses sonorités et esquissant des tonalités très western, le décor musical planté par les Bad Seeds exprime peut-être pour la dernière fois une telle intensité dramatique. Entre invités de luxe (Shane McGowan des Pogues, PJ Harvey, Kylie Minogue) et futurs membres à plein temps (le violoniste Warren Ellis, qui prendra une place toujours plus grande dans le collectif), Murder Ballads s’écroule parfois sous la surcharge de poudre et les coups de canons. Par ailleurs, après cinq premières balades de haut vol, les compositions de la seconde partie du disque flirtent toutes avec la même muse, et le demi-sourire de Dylan («Death is Not the End») n’arrivera en fin de compte pas à alléger l’ambiance.
En définitive, tous ces excès imposeront à Nick Cave un virage musical radical avec The Boatman’s Call. Son prédécesseur reste pourtant une pierre angulaire que les années n’ont pas encore entamée, le plus méchant des albums de l’Australien, qui restera aussi étrangement son plus populaire.
- runeii, le 22 01 2008