3 CD, 56 chansons (dont 30 nouvelles) et un livret de 94 pages! Le menu d'Orphans est aussi alléchant qu'inquiétant. En effet, Tom Waits est un grand artiste pouvant écrire aussi bien des œuvres maîtresses que des morceaux plutôt indigestes. Ici trois disques, trois ambiances, et un ensemble passionnant qui nous plonge des détroits d'un obscur bayou à un surréel enterrement fantomatique, d'un blues titubant à des chants traditionnels sous morphine.
Brawlers (barrareurs) se conjugue en ce que l'artiste fait de plus habituel depuis trois décennies, à savoir une version de blues rauque distordu et râpeux, dont la poussière s'envole à chaque pas. C'est le vieux chien fou au bar étanchant sa soif au gré des allées et venues des passants, ne sachant pas s'il recherche une quelconque rixe ou si sa soirée se terminera au bras d'une aventureuse rencontre de joie à l'issue incertaine. On retiendra particulièrement le rugueux "Low Down", le suppliant et intemporel "Road to Peace" ou la reprise crasseuse des Ramones "The Return of Jackie and Judy", explosant le pourtant excellent Mark Lanegan.
Bawlers (vociférations) s'entend plus sur le ton pseudo-romantique. Explorant la mélancolie lancinante d'un auteur en proie à ses interrogations et ses semi certitudes sur sa vie et sur ses aventures. Chavirant, titubant, dansant, l'auteur y croira toujours, même en fin de nuit, quand le bar aura écumé ses nappes enfumées et éthyliques, l'aube et la vie reviendront encore. Comment ne pas s'envoûter du chancelant "Never Let Go", de la reprise au goût de tord-boyaux du bluesman Leadbelly "Goodnight Irene" ou du défilé de moribonds "Take Care of my Children".
Bastards (!) est lui plus expérimental, la dernière des aventures, la plus torturée, la plus cramée, qui mêle cabaret mortuaires, contes incertains, lectures flinguées et expériences de déconstruction. L'univers Waitsien s'élargit encore un peu, on entrevoit des filets de raisons dans cet univers totalement acquis à un auteur en pleine maîtrise de son art musical et vocal. De la collaboration noir totale composée avec Sparkelhorse ("Dog Door") aux lectures à la bougie de Charles Bodowski, du marin désaccordé "Poor Little Lamb" aux beat-boxing de "Spidey's Wild Ride", Tom Waits réussi à nous emmener dans un trip dont on ne peut que redemander de s'y replonger à la moindre occasion. Sachant bien qu'à force d'abuser de cette came, on risque de le payer plutôt cher! Triple disque de l’année, haut la main !
- le sto, le 17 11 2006