Carbon Glacier fait partie de ces disques plutôt récents qui vieillissent bien, auxquels on repense longtemps après les avoir écoutés - des notes ou des mots d’une chanson nous reviennent à l’esprit sans lien apparent avec la situation présente. Sur le papier, rien ne distingue à priori celui-ci de tant de disques folk lo-fi du nouveau millénaire - la voix de Laura Veirs n’a rien d’extraordinaire, ni son jeu de guitare, et les instrumentations restent en terrain connu.
Pourtant, dès la première écoute, la fraîcheur et la justesse de Carbon Glacier vont droit au coeur, et nous poursuivent pour longtemps. Prenant comme thème principal notre lien avec la nature et l’eau en particulier, cet album transmet la même beauté tranquille qu’un paysage, la même pureté qu’une eau cristalline - quelque chose qui va de soi, une évidence. Rien n’est forcé, dans la musique comme dans les mots : le message n’est pas asséné à coups de marteau mais s’impose de lui-même avec une calme fulgurance, si l’on peut dire.
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, Carbon Glacier n’est pas un album triste et froid mais aussi chaud qu’une soirée au coin du feu en pleine nature. Les morceaux contemplatifs ("Lonely Angel Dust") succèdent à d’autres plus sombres comme "Shadow Blues", avec la même sincérité. Sur ce dernier, on retrouve une voix masculine comme contrepoint à celle de Laura, et un subtil mélange entre guitare acoustique et électrique. D’autres moments plus pop comme "The Cloud Room" et ses rythmes entraînants ne font pas tache sur cet album aux multiples facettes reliées par un même thème et une même qualité de songwriting.
Cette beauté et cette profondeur sont bien aidées par une excellente production pleine d’aspérités qui donne encore plus de consistance à l’ensemble. Les mini-instrumentations tout en finesse (oeuvre des Tortured Souls, groupe comportant notamment Karl Blau) font de ces 13 morceaux des délices pour nos oreilles : les violons de "Riptide", le jeu de guitare de "Anne Bonny Rag" très influencé par le country blues, la superbe alchimie entre piano et guitare de "Lonely Angel Dust", l’orgue de "Snow Camping", les cordes stridentes de l’inquiétant "Salvage a Smile" - chaque chanson a sa propre coloration malgré la très forte unité de l’oeuvre. Toutes ces petites touches sont autant de coups de pinceaux très évocateurs dessinant des contrées sauvages, en dehors du temps.
Pas de doute, Carbon Glacier représente un aboutissement, que ce soit par la qualité des arrangements musicaux ou en termes de songwriting ; réunissant 13 perles brutes dans une très forte unité, il fait partie de ces disques rares qui s’imposent d’eux-mêmes et sur lesquels le temps ou les modes semblent n'avoir aucune emprise.
- JP, le 17 05 2007