Numéro d’équilibriste entre l’audace et la retenue, ce 5ème album de Nick Cave est aussi celui de la confirmation de son statut d’incontournable de la scène post-punk à la fin des eighties. Et pourtant, tout n’est pas à vénérer aveuglement sur ce disque qui reste l’un des plus inégaux de sa riche production discographique. Désormais établi à Berlin, le clan des Bad Seeds recrute de nouvelles têtes (Thomas Wydler de Die Haut parmi d’autres) et reste en pleine révolution artistique.
Alors, comment ne pas se dire que «The Mercy Seat» est l’une des chansons les plus incroyables que l’on ait entendue ? Que ce soit après une ou cent écoutes ? D’entrée de cause, cette course contre la mort de plus de sept minutes nous tiendra en haleine, nous secouant de son électricité désespérée. Narrant les derniers instants d’un condamné à mort vu de l’intérieur ("An eye for an eye and a tooth for a tooth,
and anyway I told the truth,
and I'm not afraid to die"), ce texte touche une part de l’universel humain et musical, à tel point que le modèle lui-même, source d’inspiration majeure de l’Australien (entendez, feu Johnny Cash) se l’appropriera sur American III. On frissonne d’emblée, et cette sueur froide ne nous quittera plus de tout l’album.
Par comparaison, la suite s’avère moins flippante et surtout un peu disparate ; «Up Jumped the Devil» traîne son piano de cabaret infernal sans pour autant atteindre la perfection de «The Carny» (sur Your Funeral…My Trial) ; le gospel barré de «Deanna» nous fait un peu marrer. «City of Refuge» (hommage à Blind Willie Johnson), «Sugar Sugar Sugar» ou «Sunday’s Slave» offrent trois essais plus ou moins convaincants qui nous font regretter la chorégraphie hantée de «The Mercy Seat» ; plus confus et terre-à -terre, ils peinent à s’inscrire dans nos mémoires.
C’est la deuxième bonne surprise que l’on oublierait presque : «Watching Alice», balade au piano d’un Nick Cave mélancolique au possible et curieusement vulnérable («Watching Alice dressing in her room,
it's so depressing, it's cruel»). Peu présente dans son répertoire live, elle reste pourtant l’une de ses plus belles chansons écrites dans les années 80.
La nuit passe donc plutôt lentement ("Slowly goes the Night") sur Tender Prey, qui décline une fois encore les thèmes de l’amour, de la mort et de la rédemption ("New Morning"). Le gagnant, c’est clairement l’auditeur, qui tient entre ses mains un classique et l’une des chansons fondatrices du «mythe» que devient peu à peu cet autre monsieur en noir.
- runeii, le 3 11 2006