Il y a de ces objets étranges qui, de loin, semblent extraordinairement lisses, perfection d’une forme et harmonie des proportions ; puis dès qu’on s’en approche, les irrégularités, les excroissances et certains reflets déconcertants apparaissent. Reposant sur des textures inconnues tout en touchant à l’universel musical, «Helping Hand», 3ème album du duo nantais Man nous confronte à ce double sentiment, rendant inclassable sa musique instrumentale : alliage de sons empruntés à l’électro-ambient, au free-jazz, au classique façon Satie, sans pour autant être la somme de ces courants. Plus près de chez nous, Opak ou Mich Gerber défrichent le même terrain, mais n’atteignent pas (encore ?) la liberté musicale de cette « main tendue ». La formule tient avant tout aux talents conjugués des deux multi-instrumentistes (notamment le piano et le Rhodes pour François Rasim Biyikli, la basse acoustique pour Charles-Eric Charrier) ainsi qu’à de multiples collaborations avec l’univers des arts et de l’audiovisuel (quantité de BO de courts-métrages, de pub, de théâtre, etc.).
Si on a pu encaisser la secousse de «You’re in for it» et son collage sonore qui bouscule, place aux grands espaces via un piano qui oscille entre les élans de Keith Jarret et la contemplation intimiste de Harold Budd ; un beat tantôt au second plan, tantôt sourd et crépusculaire et singeant le trip-hop («Revenir») encadre toute la palette des sonorités acoustiques de basse. On se retrouve parfois dans la géométrie (variable) des Rachel’s, de Yann Tiersen ou de Sylvain Chauveau, univers classique réduit à une épure et construit dans un esprit libre des traditions («8mm»). «Helping Hand», c’est aussi dix compositions qui chacune prend le contre-pied de la précédente ; l’album évoque ainsi une large palette de sentiments et dégage une humanité profonde, entre nostalgie, étonnement ou angoisse, mais aussi paix intérieure et espoir.
Loin d’être élitiste ou inaccessible de par sa complexité, « Helping Hand » touche directement l’auditeur. En six ans, Man a acquis ce talent rare de concevoir un patchwork sonore à partir de petits bouts de rien, qui se révèle être au final évocateur en diable et d’une totale harmonie.
- runeii, le 18 01 2006