Le plus impressionnant avec DJ Krush, c’est le niveau de chacune de ses productions. L’exercice du jour, appelé Code 4109, est un mix qu’on pourrait qualifier de hip hop abstrait (un seul rappeur en vue sur les 19 titres, japonais qui plus est !) unique en son genre qui place la barre très haut. Si l’ossature de la plupart des titres est le hip hop, le choix des morceaux est époustoufflant et comporte beaucoup d’inédits obscurs, de superpositions de genres improbables qui semblent pourtant si naturelles. Les sonorités ethniques et organiques utilisées avec justesse donnent un côté intemporel à cette musique moderne.

C’est un voyage avec des montées en intensité et des respirations. La première moitié de ce mix est un sans fautes. "Jingle Jangle" de The Legion, morceau rock, est couplé avec les rythmes hip hop ultralourds de "Back to the essence" (Gravity), et dans l’enchaînement "No Competition" de DJ Cam est tout simplement le meilleur morceau jamais produit par le Français, disponible sur aucun de ses albums studio. Puis "Just be good to me" (vous vous souvenez, le super hit disco/funk du SOS Band en 1983, repris des milliers de fois par la suite ?) en version accapella, accompagné par Nick Wiz et John Klemmer, est une relecture d’un morceau ultraconnu qui laisse sans voix. Le résultat est d’une fluidité incroyable, véritable perle entre funk et acid jazz.

Après ce passage hautement ludique et entraînant, DJ Krush nous emmène dans des contrées plus sombres, la tension monte d’un cran. La rencontre entre les voix d’un choeur bulgare et les rythmes de Monkey Ken & DJ Seto ("Taiyou Ga Arukagiri") donne des frissons. Le mix atteint ici des somments, seulement touchés par les plus grands comme DJ Shadow, même si DJ Krush est plus proche du hip hop abstrait et des musiques du monde, alors que Shadow privilégie le funk dans ses choix. Dans l’enchaînement, le premier morceau de DJ Krush, "No More", présent sur Kakusei, est une parfaite transition : les rythmes organiques évoquent un monstre mythique vacillant, détruisant tout sur son passage.

"Coffee Break" des excellents Jazzanova est une respiration bienvenue après tant d’émotions...La suite n’est pas d’une intensité comparable, avec plus de morceaux présents sur Kakusei, excellents au demeurant ("Final Home", "Ryu Tou"), mais moins surprenants pour ceux qui possèdent déjà l’album studio. Le disque se termine de façon plus légère, avec une scéance de scratch magique sur "Beataholic Reformatory" avec les Beat Knuckles et "Kemuri" de DJ Krush, présent sur son premier album Strictly Turntablized.

Disque percutant et varié, Code 4109 explore un terrain très vaste avec dextérité et inventivité. Les interactions et les transitions entre les morceaux sont rarement discernables, on se demande où se termine l’original et où commence l’imposture. Disque à part dans la discographie de Krush, il résume toutefois bien l’état d’esprit du Japonais et toutes ses influences, sa volonté de réunir tradition et modernité. Les disques qui suivront celui-ci iront encore plus loin dans ce sens, incorporant de plus en plus d’instruments traditionnels. Très peu de mixes peuvent prétendre égaler celui-ci.

- JP, le 30 11 2005