Nous mesurons mieux aujourd’hui ce que les Swans ont légué au rock indépendant et au rock tout court : en 15 ans de carrière, le groupe a défriché les terres du rock punk et industriel, défini le rock gothique et semé les bases du post-rock. Rien que cela. Ces 15 années condensées pourraient correspondre à une jam-session entre les Sisters of Mercy, Godspeed You Black Emperor, Dead Can Dance et Isis. Les carcans du rock donc ont été systématiquement mis à mal, ceci avec un esprit d’indépendance que le groupe a de tout temps cultivé. La personnalité charismatique de son leader Michael Gira y est pour quelque chose : il évoque la noirceur de nos cauchemars, vices et angoisses et sa sensibilité lui permet d’écrire des chansons dédiées à l’amour et à la vie.
Après avoir mis un point final au groupe en 1997 (après le double testament « Soundtracks for the blind »), changé son fusil d’épaule pour le folk avec « The Angels of Light » et managé de main de maître son label (Young God Records), Gira nous permet de goûter à une série de reissues de ses albums jusqu’ici épuisés.
Double album de 34 titres, « Various Failures (88-92) » recoupe une période qui est jugée souvent comme la plus riche du groupe, entre les albums « The Burning World » et « Love of Life ». Cette compilation inclut des EPs et versions inédites, le tout remasterisé comme il se doit. Les murailles sonores des débuts se sont ici relâchées et introduisent une dimension émotionnelle nouvelle. Les guitares cisèlent des lignes incitant à un envol progressif (« Miracle of Love »), l’électricité restant portée par une rythmique guerrière typique du groupe. Mais ce qui contribue à la tonalité quasi mystique des compositions est la voix incomparable de Jarboe (double de Gira au féminin) dont la douceur du timbre et l’intensité émotionnelle contrebalance la gravité et la profondeur du premier. Sa reprise du « Love will tear us apart » des Joy Division vaut à elle seule le détour : on reste sans un mot.
Une certaine douceur (trompeuse) est souvent présente : plages acoustiques superposées sur quelques nappes de synthé, parfois de flûte, dimension tantôt épique (« Will we survive ») tantôt tragico-intimiste (« God damn the sun »). Une multitude de directions investies, donc, mais un sentiment de cohérence fort qui établit les Swans définitivement dans le paysage du rock. Quelques fautes de goût nuancent néanmoins la très bonne qualité de l’ensemble : nous passerons sous silence une reprise douteuse du « Black eyed dog » de Nick Drake et invitons Michael Gira à se modérer lorsqu’il illustre ses pochettes de disque (c’est fou ce qu’on peut faire subir à un lapin).
- runeii, le 20 06 2005