Après les succès de Souvlaki, Slowdive ne joue pas la facilité et décide d’abandonner les schémas qui ont fait son succès pour une approche (beaucoup) plus calme. Pourtant, calme ne veut pas dire ennuyeuse, il s’agit ici d’une évolution, une prise de risque qui est aussi le reflet du départ du guitariste et du bassiste. D’une part, plusieurs membres du groupe n’étaient plus d’accord sur la direction musicale à prendre, et d’autre part leur maison de disque n’a jamais vraiment digéré cet album dont ils ont été incapables de tirer le moindre single. Selon Rachel Goswell, il s’agissait plus d’un changement du nom du groupe que d’un split, la musique qui allait suivre cet album n’ayant plus grand-chose à voir avec Slowdive - Mojave 3 était né chez le label 4AD, le chapitre Slowdive était définitivement clos.
Tout de suite, le groupe annonce la couleur avec "Rutti", morceau atmosphérique de 10 minutes, avec des notes de guitare cristallines au milieu d’un calme blanc, accompagné de la seule voix de Neil Halstead. Quelle maîtrise du silence sur ce morceau, qui joue un rôle tout aussi important que la musique elle-même... Petit à petit, les rythmes arrivent et les instruments vont crescendo. Si on pouvait critiquer la production de l’album précédent, elle atteint ici une finesse rare, chaque instrument étant propre et clair. Les effets et autres ambiances électro à la Brian Eno ont pris le relais de la batterie et de la basse, les guitares électriques sont devenues principalement acoustiques. La structure pop / rock des albums précédents à été abandonnée, jusqu’aux chants de Neil et Rachel Goswell, souvent limités à quelques phrases répétées ou à des harmonies.
"Crazy for you" est le dernier vestige évoquant Souvlaki, seul morceau véritablement rythmé, avec des notes de guitare hypnotiques qui se dissolvent dans les profondeurs, créant une atmosphère hallucinatoire. "Visions of LA" retrouve le chant de Rachel Goswell dans toute sa splendeur, accompagnée d’une simple guitare sèche - dommage que le voyage dure moins de deux minutes. Même durée pour "Cello", petit instrumental au violoncelle tout aussi époustouflant, agrémenté de voix en arrière-plan rappelant Lisa Gerrard. "Blue Skied an’clear" est une ballade portée par une légère ligne de basse qui mène droit aux étoiles, superbe résumé de tous les meilleurs aspects du groupe, passé et présent.
Souvent comparé au premier album de Bark Psychosis, "Pygmalion" est resté tout aussi actuel et influent que ce dernier, impossible à catégoriser et difficilement comparable à son prédécesseur, moins accessible aussi. Flingué par les critiques à sa sortie, incompris par une bonne partie des fans de Slowdive, il n’en reste pas moins - n’ayons pas peur des mots - un chef d’oeuvre ambient/dream-pop.
- JP, le 16 06 2005