Deuxième album en quelques mois pour Jason Molina et son nouveau groupe : après un live appétissant, on tardait de savoir ce que le songwriter américain allait nous concocter dans ses cuisines. Entouré de la même formation que sur le dernier album des Songs :Ohia, produit à nouveau par Steve Albini, l’album présent résume, développe et surpasse les idées musicales développées sur les précédents opus. On replonge donc dans un bain folk-rock seventies, mais cette fois-ci avec plus de subtilité dans les instrumentations et de modulation dans les humeurs. Le mellotron fait ainsi son entrée aux côtés notamment des guitares steel, d’un Würlitzer et d’un accompagnement vocal (assuré par Jennie Benford). Cette présence féminine, plus encore qu’auparavant, crée un contrepoids idéal aux récits de Molina, tant dans les chœurs que dans le chant en solo.
La première partie de l’album contient sans doute les meilleures chansons jamais réalisées par le groupe : «The dark don’t hide it», titre d’ouverture déjà présent sur le dernier live, est étoffé sur tous les plans (slide guitar vrombissante et chœurs aériens) et se développe jusqu’à un climax émotionnel grisant. Plus surprenant, « The night shift lullaby » est assuré avec brio par la seule Jennie Benford, qui nous envoûte de son « lay down / lay down / no more running round / sleep away the morning hours » : on aspire à un repos éternel dans ces bras si rassurants. Classique du répertoire de Molina, «Leaving the city» associe la douleur de la séparation et le retour sur la route sans attaches, avec pour compagnons quelques notes de trompette et de piano. Toute en retenue, «Hard to love a man» nous plonge dans des lignes claires de guitare acoustique, auxquelles s’ajoute l’écho d’un mellotron : cet écrin enveloppe un cri déchirant de mélancolie et d’impossible relation (« it was hard to love a man like you / goodbye was half the words you knew »). Les frissons surgissent peu à peu, accrochés à une steel guitar qui gémit dans la nuit. Les derniers titres sont dénudés à l’extrême, directs et sensibles : guitare acoustique, duo vocal et silences.
La tonalité de cet album, comme les précédents, nous conduit aux limites des émotions, sans apitoiement sur soi ; il raconte des histoires banales d’hommes et de femmes qui doutent, qui se séparent, qui espèrent. Une fraîcheur générale englobe ce « What comes after the blues », révélant une fois encore (pour ceux qui ne le savaient pas) que cet homme qui entonne chaque soir le «North star blues» reste l’un des grands songwriters de sa génération. Il nous laisse sans doute là l’un des meilleurs albums de cette année 2005.
- runeii, le 13 04 2005