Precurseur adulé après son premier LP, Mike Skinner revient cette année avec le fabuleux A Grand Don't Come For Free.
Porte drapeau de la génération geezer (les jeunes british de l'Angleterre d'en bas, passionnés par l'alcool, le joint, la télé et le foot (surtout le tout en même temps)), le lad de Birmingham reprends un peu de la formidable recette qui avait marché il y a deux ans, en y ajoutant une bonne touche de fantaisie. Les beats les plus rugueux ont ainsi cédé leur place à d'autres toujours aussi sobres, mais plus accessibles. L'apparition de guitares (toujours très discrètes), de quelques touches de piano et toujours le phrasé brit-hip-hop tout simplement unique de Skinner mettent la touche finale à ce chef d'oeuvre.
Onze plages, onzes histoires, onze hymnes à la vie à l'anglaise des villes défavorisées. La glande y est disséquée avec l'impression que l'on suit un documentaire sur Arte : boites de nuits enfumées, playstation, perte d'argent aux paris sportifs, mal-être personnel, solitude et tristesse générale sont en effet le quotidien de cette société qui a raté le train de la post-industrialisation. Le tout traité avec un coup de plume d'une efficacité désarmante.
Ces onze histoires, finissent par n'en former qu'une. Une aventure, une tranche d'existence qui débute par la première plage, et termine bien évidemment par la dernière. Mais quelle fin...
Tout commence d'ailleurs majestueusement par une introduction orchestrale sur "It Was Supposed To Be So Easy". Récit d'une journée ou Mike aligne les losées, début d'un long et pénible tunnel bien sombre, succession de désenchantements, de frustrations et de malheur.
Après quelques tribulations c'est en boîte de nuit que Mike perd ses repères ("Blinded By The Lights"). Aveuglé par les lumières et chancelant suite aux choses qu'il a ingurgité, il nous transmet son opressant mal-être au travers d'un beat puissant, harcelant, soutenu par une voix fémine hypnotisante. Impossible de retrouver ses potes dans ce zoo. On s'y croirait. On souffle.
Les "I Wouldn't Have It Any Other Way" (avec son refrain feutré à la R&B), "Fit But You Know It" (LE single, avec son redoutable "coup" de guitare), "Not Addicted" (la plus hip-hop de l'album) sont autant d'exemples des variations de styles tentées et réussies par le natif de Birmingham. On souffle encore.
Mais le meilleur est pour la fin. L'apothéose, le bouquet final et surtout la fin de cette histoire. Avant dernier titre, Dry Your Eyes est sans nul doute un des titres les plus tristes qu'il m'ait été donné d'écouter. Face à la déception amoureuse Mike tente de garder la tête haute, mais sa peine est trop grande. D'une renversante sincérité, ce témoignage sacre définitivement le coup de plume de son auteur (' I look at her she stares almost straight back at me ' / ' But her eyes glaze over like she's lookin' straight through me '/ 'Then her eyes must have closed for what seems an eternity ' ) ou le refrain moralisateur et si exaltant ( ' Dry your eyes mate [...] There's plenty more fish in the sea '). A écouter avec modération.
Cette merveille est une véritable invitation à la découverte. Découverte de cette culture qui sent bon la brique rouge des quartiers défavorisés, découverte de cette jeunesse qui a perdu ses ambitions, mais découverte aussi d'un nouveau genre, de sonorités simples, mais redoutablement efficaces. On lit les paroles, du début à la fin, comme s'il s'agissait d'un livre. Mais là, on remet le disque encore une fois, et on s'évade encore une heure durant, au pays du tea time et de cet accent qui fait venir la pluie.
Alors on se repasse la dernière plage, épilogue génial de plus de 8mn. Plage qui en fait en cache deux, séparées par un vrai break de quelques secondes. Deux chansons (même beat, même son) de 4mn sur une plage, pour deux issues à cette narration. Je ne vous raconterai rien. Mais cette apothéose vous consolera (un peu) d'être déjà arrivé à la fin de l'album.
Indispensable.
- roby, le 26 08 2004