Les Flaming Lips, c’était essentiellement ce groupe indie, aux expérimentations un poil fumeuses, qui s’était rendu coupable d’un des grands disques pop de la fin des 90s avec le flamboyant The Soft Bulletin. Une réussite dont on a eu tôt fait de rendre responsable le producteur Dave Fridmann, d’autant que ce dernier venait de faire des miracles avec les ingrats Mercury Rev dont il a accouché d’un Deserter’s Songs d’agréable mémoire. On se souvient peut-être moins de la suite: descente dans les limbes d’un prog-rock pataud pour MR, et deux très louables efforts pop pour les Lips; mais envolée la certitude d’atteindre à nouveau les cimes du Soft Bulletin.
C’est pourtant cet espoir oublié qui renaît dès l’ouverture du présent Embryonic. Sur l’inaugural “Convinced of the Hex” comme sur le suivant et tout aussi puissant “The Sparrow looks up at the Machine” (titre typiquement lipsien), le groupe pose les impressionnantes bases du son abrasif qui sera la marque de l’essentiel du disque. Vos tympans vont morfler et en redemander: les basses saturées rivalisent de vrombissements avec les synthés déglingués tandis que la voix d’ange nicotinomane de Wayne Coyne hurle en retrait d’un véritable pilonnage rythmique. Le doux “Evil”, troisième titre, vient quant à lui vous ralentir les battements cardiaques jusqu’au point critique, tout en dressant minutieusement chaque poil sur votre épiderme. Les assauts reprennent avec “Aquarius Sabotage”, substrat de jam session pas franchement indispensable - contrairement au néo-zeppelinien “See the Leaves”.
Le lexique (“mountains”, “planets”...) ne trompe pas: Embryonic est une œuvre tellurique, traversée ça et là de trous d’Air (“If”/”Gemini Syringe”) qui immiscent leur souffle jusqu’aux recoins des morceaux les plus bastonnants. Habité à plusieurs reprises par les troublants feulements de Karen O, l’album se fait tour à tour inquiétant et caressant, le plus souvent les deux à la fois. Le groupe se livre aussi, entre autres réjouissances, à un jeu un peu cruel consistant à inviter MGMT (sur le bouillant “Worm Mountain”) pour bouffer tout crus, en seigneurs cannibales, les nouveaux roitelets du psychédélisme crâneur. Plusieurs écoutes peuvent être nécessaires avant d’adopter pleinement ce long disque, mais l’effort est justifié, ne serait-ce que parce qu’il se clôt sur le meilleur morceau pop de l’année: l’exaltant et primal “Watching the Planets”. L’extase est à portée de trip.
Hypothèse: et si, avec cet Embryonic qui pourrait bien rester comme leur chef d’œuvre, les Flaming Lips (travaillant actuellement à un remake de Dark Side of the Moon) venaient de signer leur meilleur album de Pink Floyd ?
- Rémi Boiteux, le 9 11 2009