On écoute Scott Walker comme on vit un plaisir coupable, la peur de passer pour le has-been ou l’intello précieux. Car, parcourue dans un sens ou dans un autre, la discographie du plus british des Américains laissera l’auditeur au mieux sceptique (par ses chansonnettes 60’s pour teenagers avec les Walker Brothers), ou alors franchement horrifié (par l’esthétique plus récente des avant-gardistes Tilt ou The Drift). Restent quatre albums sobrement intitulés Scott 1,2,3 et 4, sortis entre 1968 et 1970, qui pourraient très vite être rangés aux côtés de Frank Sinatra si l’on ne s’y penchait pas davantage.
Scott 4 peut se résumer ainsi : en quatre minutes réglementaires format «chanson cabaret / music-hall» s’y mesurent un crooner au falsetto substantiel, les arrangements orchestraux les plus déraisonnables, issus de mouvements musicaux au spectre panoramique (musiques dites classiques et traditionnelles), plus l’admiration sans bornes de l’auteur pour le grand Jacques Brel. Vous avez déjà un poids sur l’estomac ?
L’avantage de Scott 4 sur ses prédécesseurs, c’est la volonté assumée d’éviter les excès de gras à tous les niveaux, en réduisant la surcharge lyrique. D’entrée, les arrangements de cordes, mariachis, flamenco et vocaux(!) de "The Seventh Seal" irradient d’une douce brillance qui ferait pâlir de jalousie Jean-Claude Vannier (l’homme-orchestre derrière la Balade de Melody Nelson de Gainsbourg), réalisant un hommage à Bergman de bon augure. Dix compositions plus loin, on est bien forcés de constater qu’il est nécessaire de dépasser la forme, un peu vieillotte et très connotée sixties, pour en découvrir la substantifique moelle.
Cerise sur le gâteau augurant d’un album bientôt culte, Scott 4 fut l’échec commercial total d’un auteur en guerre contre l’industrie artistique, sombrant ensuite corps et biens dans l’oubli, entrant en réclusion volontaire avant le retour salué que l’on sait. Témoignage d’un esprit jamais satisfait de lui-même, Scott 4 met en évidence le degré d’exigence quasi obsessionnel d’un auteur bien souvent associé à un ego démesuré. L’histoire, par le biais des Bowie, Bryan Ferry, puis des générations post-punk (Nick Cave) ou british-pop (The Divine Comedy, Radiohead) a ensuite pleinement revendiqué l’apport inestimable de cette grande voix atypique. Toujours à contre-courant, mais résistante au temps et attachante malgré elle.
Scott 4, comme a été remasterisé en 2000 par Fontana.
- runeii, le 12 11 2008