Dans cette fable futuriste, notre héros Daedalus (ou Dedalus) se sentirait étrangement isolé de son Ulysses, bien loin de la plume de son créateur. James Joyce en perdrait sans doute lui aussi le sommeil, tant l’univers dépeint sur ce premier album respire l’inquiétude. Nina Kernicke, la maître-chanteuse derrière All Sides, en tire les ficelles depuis Brême, titillant tout ce qui peut s’avérer toxique pour un héros naïf aux oreilles non averties.
Dedalus survient après deux EPs déjà prometteurs, accroché à une base moitié électronique, moitié dark-ambient, ses drones de guitares n’hésitant pas à s’ériger en murs. Tranchante, par moments presque indus, la tessiture de sons n’hésite pas à se démultiplier en strates pour mieux converger vers un implacable dénouement. Qui n’arrive jamais. Pas de happy-endings non plus, n’ayez crainte.
Quelques espaces flottants plus lumineux ("Luv", "Into the Sea") nuancent l’exercice qui peut par moment confiner au face à face avec l’horreur la plus viscérale. Un piètre répit, Kernicke parvenant de toutes manières à son obscur dessein, privilégiant l’aspect dynamique de l’oeuvre, usant sans scrupules de beats trépidants au bord du chaos, d’une basse plombée, ou de samples judicieux (Stephen Dedalus et ses réflexions, auf deutsch bien sûr, sur le titre éponyme). Pour dire qu’on se trouve pas mal désorientés.
Dans l’ensemble, une lumière glacée se dégage de cet album-expérience pas commun ni commode, pas très humain, jamais vraiment electro ou post-rock épique, renvoyant dos à dos Flying Saucer Attack et Bohren & Der Club of Gore, creusant son propre sillon comme un Lustmord. En cela, All Sides se trouve presque à sa place sur le label Make Mine Music, aux côtés d’autres inclassables comme Millimetrik ou Epic45.
Et, alors que je pourrais souhaiter une ration supplémentaire d’oxygène pour éviter une mort lente, je reste convaincu que ce Dedalus finit par révéler des zones inconnues tapies au fond de nous mêmes. Pas mal de gouffres, quelques fossiles et des questions sans réponses. Un disque obsédant, malsain et fatalement voué à la marge.
- runeii, le 17 05 2008