Ultime précaution avant l’usage : enfilez vos gants ! Car ce troisième album studio de Portishead assemble de manière complexe verre pilé, angles aigus, textures recyclées rêches et tranchantes, ce qui va dérouter plus d’un nostalgique des odyssées de cabaret feutrées initiées sur Dummy en 1994.
De manière totalement inattendue, ce collage de textures sonores brutes semble se mouvoir selon son bon vouloir, au rythme de séquences et de réassemblages de genres, empruntant - nouveauté majeure- tant au psychédélisme Krautrock allemand de Can ou de Neu! qu’au minimalisme répétitif de Kraftwerk, synthés analogiques et beats fatigués réglés sur un étonnant 120 bpm!
Au-delà de ces ajouts, la noirceur de Third rampe à différents niveaux, totalement organique, s’inspirant des âpres années post-punk en un condensé suggestif, que ce soit sur le groove de "Hunter" (balade nocturne qui ne dépareillerait pas en BO de Twin Peaks) ou le final maladif "Threads". Quelques éclats irradient encore, comme "The Rip", déconcertante de facilité et d’émotion. C’est un fait, les harmonies de Third surgissent souvent lorsqu’on ne les espère plus, au détour d’un cri agonisant de guitare ou de flashbacks guerriers. Le climat devient presque intolérable entre les pales d’hélicoptères du boursoufflé "Plastic", seul ratage de l’album, et les salves de Kalachnikov du single (sic) "Machine Gun". Enfin, la barre de ce maelström complexe revient de droit, comme toujours, à Beth Gibbons, guide fugace à la mince silhouette qui donne ses mots comme s’ils étaient les derniers. Sans doute la seule humaine à pouvoir affronter un tel chaos.
Tour de force musical et vrai challenge pour son auditeur, Third va certainement secouer son monde, faire fuir certains et en attirer d’autres. Portishead se trouve bien plus loin que toutes nos expectatives, accouchant de nouveaux jalons dans sa quête d’univers désincarnés. A la manière d’un Scott Walker sur le tard ou d’un Radiohead période KidA, ils explorent la singulière beauté de nos ombres sans rechigner à jouer au petit chimiste en herbe. Si pas encore un classique, certainement un abrupt sommet.
- runeii, le 27 04 2008