1988. Adoubée en personne par un Lou Reed pourtant moins avare en vacheries qu'en compliments, la version aussi inspirée qu’apaisée de son séminal "Sweet Jane" braque d’un coup les projecteurs sur la famille canadienne (de Toronto) Timmins, aidée par le génie d’un nom de groupe qui marque immédiatement les esprits : Cowboy Junkies. Que n’a-t-on cherché de messages cachés derrière ce nom, marquant à la fois l’attachement du groupe à d’évidentes racines country-blues, tout en lui adjoignant ce petit côté vénéneux (en droite ligne du Velvet) supposé manquer aux rednecks bon teint. Comme souvent en pareil cas, la vérité est à la fois plus prosaïque et plus belle. Dans l’urgence de leur premier concert, les deux frères Timmins (Michael et Peter), leur sœur (Margo) et le vieux copain de la famille (Alan Anton) jetèrent in extremis leur dévolu sur ce nom. L’inconscient étant un langage, il est clair que ce nom en dit finalement beaucoup…
Mais revenons à "Sweet Jane" et au disque qui en était l’écrin. Enregistré en une seule session "live" dans une vieille église de Toronto (d’où le titre The Trinity Session, du nom de l’église en question) le 27 novembre 1987, il allait à ce point marquer les esprits et influencer toute la scène folk (au sens très large) que l’on n’est pas très surpris que, pour fêter les vingt ans de cet enregistrement miraculeux, des musiciens aussi prestigieux et divers que Natalie Merchant, Vic Chesnutt ou Ryan Adams soit venus apporter leur propre pierre à son mausolée.
Trinity Revisited, donc, kezako ? Près de vingt après (on triche un peu sur les dates, puisque les deux enregistrements sont en effet distants de dix-neuf ans seulement…), réenregistrer sinon le même album, du moins les mêmes chansons, dans le même ordre, et dans les mêmes conditions live (et, dans les deux cas, sans public). Et donc, cette fois, avec l’apport de quelques guest stars, sans oublier le fidèle multi-instrumentiste (mandoline, harmonica, violon…) Jeff Bird, déjà du premier enregistrement de 1987 et de bon nombre des albums suivants des Cowboy Junkies, généralement tous estimables (souvent même plus que ça), mais jamais au niveau de ce live "clérical".
Technologie du XXIème siècle oblige, l’autre différence est que cette session fait aussi l’objet d’une double captation, audio et vidéo. Nous avons donc un cd et un dvd du même concert (mais peut-on vraiment parler de concert sans public ?...) pour le même prix. Chouette !
Disons-le franchement, on pouvait craindre la fausse bonne idée, ou le symptôme du groupe sachant ses plus belles heures derrière lui et tentant pathétiquement de s’y rattacher artificiellement avec une claire visée commerciale derrière la tête. Ce serait mal connaître la fratrie Timmins. Cette nuit de novembre 2006 est juste un pur moment de musique. Le mot "juste" n’est évidemment pas très approprié, car , par définition, tout disque devrait être un moment de musique. Mais de combien d'albums peut-on le dire à ce point ?
Il y a le talent d’instrumentistes des garçons du groupe, énorme, d’une perfection jamais aseptisée ou mécanique, mais au contraire d’une sensibilité et d’une émotion permanentes. Et il y a aussi, et surtout, cette voix incroyable de Margo, cette voix qui semble à la fois inaltérée par les années (pas loin de 25 depuis les débuts du groupe, quand même…) et en même temps encore un peu plus assurée, sereine. Dans un genre musical assez proche, si elle n’a pas le même potentiel érotique qu’une Hope Sandoval (Mazzy Star) ou qu’une Jennifer Charles (Elysian Fields), elle a une pureté que ses consoeurs n’ont pas.
Démonstration avec le premier morceau a capella, le "traditional" Mining for Gold (pas anodin pour une famille dont l’aïeul, Noah, fut lui-même prospecteur et fondateur de la petite ville canadienne portant leur nom, Timmins). Son chant est du même tonneau (dont on fait les plus belles ivresses) sur les autres chansons qu’elle interprète. Car elle ne les chante pas toutes, ou rarement seule, et c’est presque le seul bémol que l’on pourrait apporter à cette "revisitation". Nonobstant leur talent, Natalie Merchant et plus encore Ryan Adams (très bien sur 200 more miles, plus limite ailleurs, bref, inégal, à l’image, finalement, de sa plantureuse discographie, où la quantité prend parfois le pas sur la qualité) et Vic Chesnutt (au chant de toute façon plus "douloureux", émouvant mais faisant évidemment un peu pale figure face à celui de Margo Timmins) peinent à toujours retrouver l'émotion d'origine du premier enregistrement.
Dommage, en particulier, que Margo ne chante pas seule "I’m so Lonesome I Could Cry", probablement la plus belle interprétation d’Hank Williams jamais enregistrée. Mais on se consolera avec la captation vidéo, d’une très élégante et discrète mise en scène, parfaitement au diapason des musiciens. Margo ne chante pas seulement divinement, mais elle est tout simplement resplendissante, infiniment plus belle à 45 ans qu’à 25, et, pourquoi ne pas l’avouer, c’est l’un des plaisirs supplémentaires de ce superbe objet.
Noël est passé mais faites-vous donc ce petit cadeau en rab, vous ne le regretterez pas !
- mister Kenyatta, le 30 01 2008